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Le roi Lear ©Bruno Dewaelle

Depuis toujours j’essaie de mettre sur le plateau cette fêlure que nous enfouissons au plus profond pour pouvoir raisonnablement, c’est-à-dire socialement, vivre, mais qui surgit aussitôt que nous baissons la garde. Parce qu’en chacun de nous quelque chose, toujours, claudique ou désespère.

Depuis toujours mes choix vont vers des textes où la langue travaille en direct cette fêlure, où la parole est à la fois « la forêt où nous sommes perdus et le moyen que nous avons d’en sortir », pour reprendre les mots de Valère Novarina.

Il me semble que le théâtre, sous ses multiples formes et tentatives, est là pour accueillir cette parole qui ne peut, ou ne veut, se conformer ; qui même démunie des outils du savoir – ou les refusant – s’est inventé une langue. Poétique, singulière, et libre.

C’est le lieu de ma rencontre avec les comédiens de l’Oiseau Mouche.
C’est Louis Wolfson, l’étudiant de langues schizophrénique, et Jean-Pierre Brisset, le 7ème Ange de l’Apocalypse, inventeurs de génie qui bouleversent la langue maternelle et la mettent avec violence, mais non sans jubilation, sens dessus dessous.
C’est l’art brut sous toutes ses formes.
C’est Robert Walser écrivant en cachette dans l’angle d’une fenêtre, après 26 ans à l’asile.
C’est Shakespeare et la folie lucide de Lear, Racine et ce combat au cœur de la langue entre l’ordre et le chaos.
C’est Ovide et les mythes, les fables, les contes, toutes ces histoires qui ont la férocité archaïque de l’originaire et qui nourrissent mon travail depuis toujours.

Un spectacle, un projet réalisé avec les habitants d’une ville, un atelier d’écriture, un stage de pratique artistique participent du même artisanat poétique et politique, d’une même recherche et nécessité : tenter de faire un peu de place à nos singularités, à nos différences, exorciser nos douces ou dangereuses folies. A travers ces rencontres surgissent toujours des éclats de poésie, un regard sur le monde et la nécessité d’en témoigner.

Sylvie Reteuna

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